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DE GAUGUIN ET DE VAN GOGH AU CLASSICISME

pays de Rembrandt est un romantique exaspéré : le pittoresque et le pathétique le touchent bien davantage que la beauté plastique et l’ordonnance. Ils représentent ainsi un instant exceptionnel du double mouvement classique et romantique. Cherchons auprès de ces deux maîtres de notre jeunesse quelques images concrètes pour illustrer un article trop abstrait et peut-être obscur.

Dans l’exécution fougueuse et saccadée de Van Gogh, dans ses recherches d’éclat et ses violences de ton, je trouve tout ce qui séduit les jeunes tachistes, et la raison pourquoi ils se contentent de flaques de couleur pure ou de quelques zébrures. Ils admirent son attitude agressive en face de la nature, sa vision anormale, exaspérée, mais vraiment lyrique des choses : son scrupule de tout dire ce qu’il sent, l’insistance avec laquelle il affirme les mouvements les plus capricieux de sa sensibilité — et par quels moyens rudimentaires ! par un trait furieux, par le relief énorme d’un empâtement. Il y a chez lui cette mauvaise manière d’attaquer la toile que les derniers romantiques considéraient comme un signe de génie ; voyez la lourde charge que Zola a faite dans l’Œuvre de ce type de peintre. Chez ce mystique, ce raffiné, ce poète, l’influence niaise et triviale du naturalisme a laissé des traces, que j’aperçois encore dans la génération qui vient. Le mot de tempérament avec tout ce qu’il comporte de bestialité conserve son prestige. Van Gogh, enfin, a déterminé chez les jeunes une rechute de romantisme…

J’ai devant moi un beau portrait de Vincent par lui-même. Les yeux verts, la barbe et les cheveux rouges dans une face blême fièrement construite. Le fond où se voit une estampe japonaise compte peu. C’est une étude ; mais une étude réfléchie, préméditée. J’y vois les tares que je viens de signaler mais aussi une expression de vie et de vérité intense. Le tragique de ce visage synthétisé avec un rare bonheur par quelques traits énergiques et quelques tons plaqués, l’indication sommaire mais définitive de l’essentiel du sujet, l’émotion qui vibre dans cette ébauche d’un vrai peintre, tout cela fait de cette esquisse une œuvre du plus grand style.

Le portrait de Gauguin (au Christ jaune) que j’en rapproche