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DE GAUGUIN ET DE VAN GOGH AU CLASSICISME

à dessein n’a pas tant d’allure : mais il a davantage d’intérêt didactique, — et d’ailleurs il est fort inspiré de la technique de Cézanne. C’est d’abord une composition balancée : la distribution des ombres et des couleurs, le clair-obscur m’assurent que le peintre a pensé faire non une étude fragmentaire mais un tableau. Au lieu des angles durs qui soulignent les volontés de Van Gogh, il y a un nez, une oreille, des traits qui se courbent pour obéir aux nécessités de la composition et qui sont stylisés à la façon des décorateurs italiens.

C’est qu’ici nous sommes chez un décorateur : celui pour qui Aurier réclamait autrefois et si impérieusement, des murs ! Celui qui au Pouldu décorait la salle de l’auberge, sa gourde et ses sabots ! Celui qui à Tahiti malgré l’anxiété, la maladie, la misère, se souciait avant tout de l’ornementation de sa case. Les critiques italiens l’appellent le « Frescante ». Il aimait l’aspect mat de la fresque, et c’est pourquoi il préparait ses toiles avec d’épaisses couches de blanc à la colle. Cependant il ignorait les Quattrocentisti ; et nous voyons qu’il avait comme eux l’usage de la teinte plate et du contour précis.

Son art tient davantage de la tapisserie et du vitrail que de la peinture à l’huile. Comme Cézanne et à travers Cézanne, il cherchait le style. Dans les pays de soleil tropical où il vécut, ce n’étaient pas les éclatants contrastes de la lumière qu’il traduisait, mais plutôt il profitait de la sérénité de l’atmosphère pour équivaloir les plans, égaliser les teintes, supprimer toute perspective aérienne. Il aplatissait les modelés de Cézanne. Ses tableaux sont des surfaces authentiquement planes où s’équilibrent des taches décoratives.

Remarquons encore l’invention de ses sujets, de ses motifs. Malgré sa volonté de faire rustique en Bretagne et sauvage à Tahiti, il met de la grâce en tout. Dans certaines figures de femmes de la dernière période, telle est la perfection et l’agrément de la forme que le mot de vénusté est le seul qui convienne.

Pas seulement de la vénusté et de la grâce, mais surtout de la raison. Gauguin, qui a mis tant de désordre et d’incohérence dans sa vie, n’en tolérait pas dans sa peinture. Il