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DE GAUGUIN ET DE VAN GOGH AU CLASSICISME

spontanéité de l’artiste. Si nous souhaitons que la liberté de l’artiste connaisse des limites et que sa sensibilité se soumette au jugement de la raison, certes, nous espérons de ces entraves qu’elles augmenteront sa vertu, et que son génie comprime par de justes règles acquerra plus de concentration, de force et de profondeur. Il est vrai que nous sommes las de l’état d’esprit individualiste, dont le propre est de rejeter toute tradition, tout enseignement, toute discipline, et de considérer l’artiste comme une sorte de demi-dieu, à qui son caprice tient lieu de règles ; il est vrai que cette erreur, la notre à l’origine, nous est devenue insupportable. Cependant nous persistons à considérer, du point de vue symboliste, l’œuvre d’art comme une traduction générale d’émotions individuelles. L’ordre nouveau que nous entrevoyons et que les expériences et les théories de 1890 ont fait naitre, nous l’avons vu, de l’anarchie elle-même, s’appuie donc sur un régime de subordination des facultés à la base duquel se trouve toujours la sensation : il procède de la sensibilité particulière à la raison générale. On ne saurait chercher le motif de l’œuvre d’art ailleurs que dans l’intuition individuelle, dans l’aperception spontanée d’un rapport d’une équivalence entre tels états d’âme et tels signes plastiques qui les doivent traduire avec nécessite. La nouveauté consiste à penser que cette sorte de Symbolisme, loin d’être incompatible avec la méthode classique, peut en renouveler l’efficacité et en obtenir d’admirables développements. Et ce n’est pas le moindre avantage de notre système que de fonder un art très objectif, un langage très général et très plastique, enfin un art classique, sur ce qu’il y a de plus subjectif et de plus subtil dans l’âme humaine, sur les mouvements les plus mystérieux de notre vie intérieure.