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Page:Maurice Joly - La Question brulante - H Dumineray editeur, 1861.djvu/22

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on hait les riches, on regarde secrètement la noblesse comme un des plus beaux apanages de la vie sociale et on hait les nobles ; quand un homme en a blessé un autre dans son amour-propre, il est calomnié, vilipendé, traîné dans la boue ; on pardonnerait plutôt un affront qu’une piqûre de vanité. Ce peuple dont tous les membres se croient égaux ne peut naturellement pas souffrir la moindre offense, et des haines mortelles s’amassent entre les individus pour un coup de chapeau refusé.

Un ennui profond pour les études sérieuses caractérise également notre nation ; les plus vils saltimbanques feront courir tout Paris, personne ne se dérangera pour aller entendre un rapport à l’Académie ; on raille l’Université, et l’on ne croit qu’aux grades et aux brevets qu’elle confère. Les beaux ouvrages dont une foule de rares génies ont doté la France sont bien plus connus à l’étranger qu’ils ne le sont en France, où personne ne les lit ; des livres pleins de frivolité, de sottises et quelquefois de turpitudes, sont seuls en possession de la faveur publique.

Naturellement imprévoyants, nous ne pouvons supporter les conseils, et nous suivons toujours notre premier mouvement ; on accumule faute sur faute, et l’on ne se préoccupe jamais de les réparer ; l’esprit de suite nous fait défaut dans toutes nos entreprises ; dès qu’il s’agit d’affaires, on ne peut compter sur l’exactitude de personne ; on se traîne au travail comme au supplice, et on se hâte de le quitter pour s’élancer au plaisir, dût-on le payer, ce plaisir, de vingt jours de regrets et de privations. J’ai parlé de plaisir, j’oubliais qu’il n’en est plus, ce sont jouissances de vanités qu’il faut dire ; on voit des familles s’apauvrir, se ruiner pour contenter leur envie de donner des fêtes qui fassent parler. Il a pris aux jeunes gens de cette époque une folie étrange, c’est la manie de se faire passer pour riches quand le plus souvent ils ont à peine le nécessaire ; on en voit qui se font traîner toute une journée dans une voiture à deux chevaux pour faire