Page:Maurice Joly - La Question brulante - H Dumineray editeur, 1861.djvu/23

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croire aux passants qu’ils ont un équipage à eux ; d’autres qui dépensent leur provision de quinze jours dans un dîner pour éblouir leur voisin par le faste présumable de leur existence.

Mais ce qui est plus grave, c’est une absence de volonté, un défaut de persévérance, une mobilité qui fait tout entreprendre et tout quitter. Le moindre obstacle décourage, la moindre adversité terrasse.

C’est plus que jamais le règne des petits hommes, des hommes d’antichambre, des hommes de coulisse ; il semble qu’une mystérieuse conspiration les pousse, les élève, les caresse, ce sont les mœurs du sérail. Où sont donc nos vertes franchises et notre vieil esprit gaulois ? Quoi ! pas une satire, pas même une épigramme ! On ne glose qu’à petit bruit, on n’ose pas ; le peuple français n’ose plus moquer ouvertement tous ces Gitons ; parlez d’un homme public en renom dont l’incapacité est connue, chut ! vous dit-on ; décriez un poète, un littérateur célèbre, mais sans génie, l’avis des gens sensés est pour vous ; mais on est convenu d’acquiescer aux réputations usurpées ; une flagrante médiocrité est hautement portée sur le pavois et triomphe pour ainsi dire des gens de mérite de leur consentement : on ne vit jamais rien de si étrange !

Je pourrais aller beaucoup plus loin dans cette peinture, je m’arrête. Il semble qu’un type moral et social, comme celui dont je viens de faire l’imparfaite analyse, soit peu fait pour soutenir le régime de la liberté et les austérités de la vie publique.

N’exige-t-elle pas de mâles vertus, des mœurs énergiques, et cet égoïsme national si éloigné du cosmopolitisme Français ? Nous sommes restés monarchiques par les instincts, par les mœurs, et nous ne sommes devenus libéraux que par les idées ; cela ne fait pas l’affaire. Très-précis, très-âpres quand il s’agit de nos intérêts particuliers, l’intérêt général ne touche personne ; on n’a qu’à voir ce qui ce passe quand le gouvernement demande quelque chose au nom de