Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/120

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élevées qui ne pouvaient être comprises que dans des sphères artistiques supérieures, qu’il lui avait été impossible d’aborder, estimant trop son art pour descendre à des compositions du dernier ordre qui l’auraient fait subsister, il vivait misérablement de quelques leçons de musique qu’il donnait çà et là.

Sobre comme un Spartiate, mystique dans ses idées, se livrant par bonté d’âme au contact vulgaire de ses camarades, pour lesquels il avait une extrême indulgence, il formait un contraste frappant avec son ami et collaborateur Léon Gaupin, jeune homme dissipé, entraîné, courant les bals publics, et jetant à tous les hasards son esprit turbulent et sa santé.

Il dépensait en quelques jours la maigre pension que lui faisait sa famille, dans la pensée qu’il utilisait son séjour à Paris pour entrer dans quelque administration. Mais, depuis quatre ans qu’il était à Paris, jamais Léon Gaupin n’avait pris d’inscription, mis le pied dans une école ni frappé à la porte d’aucun ministère ; il avait une passion malheureuse, mais très tenace, pour le théâtre, passant plus de temps à raconter des sujets de pièce qu’à en faire, mais ayant mis sur pied, en somme, cinq ou six pièces, vaudevilles, drames ou opéras, dont il n’avait pu faire recevoir aucune.

Affamé de besoins, de désirs, de fantaisies de toute espèce, il avait vécu pendant quelques mois de l’illusion de faire accepter un livret d’opéra dont Karl avait fait la musique, et qui s’appelait le Siège de Corinthe. Mais l’espérance fabuleuse de faire recevoir un opéra à l’Académie impériale de musique s’évanouissait un peu plus chaque jour, et, malgré démarches sur démarches, ils étaient tous les deux aussi loin du but