Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/123

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Il n’était pas jusqu’à Soulès qui n’eût tiré parti de sa vanité en le faisant entrer à titre d’administrateur dans le journal le Barbare, ce qui lui avait coûté déjà plusieurs milliers de francs ; mais il commençait à se lasser de cette dignité. C’était actuellement Marius qui exerçait le plus d’empire sur son esprit, et le spirituel artiste venait d’inaugurer cette période de faveur par une ouverture de crédit qu’il comptait élargir prochainement.

Belgaric, doublure des seconds rôles à l’Odéon, était le fils d’un chef de bureau du ministère des finances, qui n’avait jamais pu comprendre comment s’était déclarée la vocation de son fils pour le théâtre. Après avoir terminé ses études, ce dernier s’était engagé un beau matin dans une troupe d’acteurs de province et on ne l’avait plus revu.

Après trois ou quatre années de cabotinage consciencieusement accomplies, il était revenu acteur de troisième ordre à Paris, où il maudissait l’injustiee du parterre et l’ineptie des directeurs de théâtres. Ce qui rendait Belgaric assez amusant, c’est qu’avec une vie débraillée et les habitudes de sa profession, il posait, suivant le mot de ses camarades, pour les choses de la conscience, de la morale et du devoir.

Gédéon Mathieu, petit homme d’une quarantaine d’années, un peu voûté, grisonnant, à la voix éraillée et perçante, à l’œil émerillonné, était un médecin spécialiste que son goût pour les plaisirs et pour les fantaisies de la vie parisienne avait voué depuis longtemps à l’impénitence finale de la vie de bohême. Dès qu’il avait gagné quelques louis, il les dépensait immédiatement à un bon dîner ou à une aventure de hasard. On ne lui connaissait pas de domicile certain ; il rece-