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Saint-Petersbourg, courant les villes de jeux, les bains de mer, traînant partout à son char les hommes les plus distingués et ne s’attachant à aucun.

Elle haïssait à mort le vicomte d’Havrecourt, qui avait fait un jour un pari singulièrement outrageant pour la belle comtesse. Elle se flattait d’avoir abandonné tous ses amants sans avoir jamais été quittée la première : or, le vicomte avait parlé, dans un souper, qu’il obtiendrait ses faveurs dans quarante-huit heures, et que quarante-huit heures après il aurait pris congé ; et il avait gagné son pari en notifiant sa retraite par une missive dont le texte impertinent, déguisé sous une forme galante, avait circulé au Jockey-Club. Cette plaisanterie devait coûter cher à d’Havrecourt, à qui la comtesse avait suscité déjà trois ou quatre duels, et qu’elle poursuivait toujours d’une haine implacable.

Sa hauteur avec les hommes n’avait fait qu’augmenter depuis cette époque. Or, il y avait déjà cinq jours que Georges Raymond était favorisé, et Georges Raymond n’était qu’un pauvre avocat sans argent et sans renommée, dont elle ne pouvait rien attendre. Étourdi par un bonheur aussi extraordinaire, il n’avait pas reparu pendant quelques jours à son cabinet, et il était allé se cacher avec Isabeau dans une délicieuse retraite qu’elle possédait aux environs de Paris.

Georges avait donc eu son heure de triomphe : il possédait pour le moment une des plus belles femmes de Paris, et il pouvait s’en croire aimé. Elle lui avait fait jurer un silence absolu sur leurs relations, surtout vis-à-vis de d’Havrecourt, qu’elle lui avait représenté comme un prétendant évincé, devenu depuis lors irréconciliable et cherchant tous les moyens de se venger.

Cette révélation avait fait ouvrir de grands yeux à