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six ans, avait été un fort beau cavalier ; mais atteint d’infirmités précoces qui avaient entravé son activité, il avait bien vieilli depuis le jour où, plein de vaillance, il avait été arrêté avec ses collègues à la mairie du dixième arrondissement.

L’ancien membre du comité de la rue de Poitiers, alors si fringant, avait des cheveux blancs qui tombaient avec une certaine grâce sur ses joues amaigries. Ses yeux spirituels et fins avaient conservé tout leur éclat. Avec des formes séduisantes, il avait le caractère changeant comme tous les hommes atteints d’hypocondrie, et il passait sans transition de l’aménité la plus exquise à des accès d’irritation qui en faisaient un tout autre homme.

La comtesse de B***, qui joignait à un grand sens une inaltérable sérénité, avait seule le pouvoir de le calmer. Elle avait dû être fort belle et, quoiqu’elle eût dépassé la cinquantaine, ses grâces effacées conservaient encore un grand charme.

Sa sœur, la marquise de C***, qui avait perdu son mari depuis une année, habitait avec elle ; elle était aussi laide que sa sœur avait été jolie, mais elle avait l’esprit du monde le plus original.

Quant à la sœur du comte de B***, c’était une vieille fille qui s’était faite religieuse, disait-on, à la suite d’un chagrin d’amour, et elle avait totalement renoncé au monde pour s’attacher à Dieu. Son frère était sa seule affection terrestre.

— J’ai trop vécu ! mes cheveux blancs sont déshonorés, répétait le vieux gentilhomme en s’agitant sur son fauteuil, pendant que sa sœur était à ses pieds et que les deux autres femmes faisaient tous leurs efforts pour le calmer.