Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/341

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Nous l’y précéderons de quelques instants.

La table, ce soir-là, était au grand complet. Tous les habitués ordinaires s’y trouvaient, même Cambrinus. Malgré les préoccupations de sa candidature qui chauffait en ce moment, à toute vapeur, chez les marchands de vin de sa circonscription.

Près de devenir homme politique, Cambrinus, le verre en main, passait gaiement au sein de la basoche les derniers jours qui le séparaient de la célébrité.

Lecardonnel et l’abbé Ecoiffier, placés côte à côte, observaient à la dérobée Karl Elmerich qui ne disait rien.

Le pauvre jeune homme était encore tout étourdi des événements qui venaient de s’accomplir autour de lui, et, au milieu des préoccupations poignantes que la trahison présumée de Georges Raymond faisait naître dans son âme, une pensée dominait en lui toutes les autres. Il songeait à Mlle  de Nerval, dont l’adorable image ne pouvait sortir de son cœur.

— Il l’aime ! se disait-il, et pour l’épouser il a tout oublié.

Belgaric, de l’Odéon, était avec sa maîtresse, la grosse Zoé-Canada, qui écoutait ce qui se disait comme un poisson rouge dans un bocal, pendant que Gédéon Mathieu, faute d’un objet plus digne de sa flamme, prodiguait auprès d’elle les pantomimes et les exclamations admiratives.

Enfin, Oudaille et Soulès, entraînés par Coq, avaient osé reparaître à la pension après l’échauffourée de l’Opéra, dont ils avaient gardé le secret vis-à-vis de leurs camarades.

— Mille bombardes mes amis, s’écria Cambrinus en levant son verre, puisque le père Lamoureux s’est fen-