Page:Maurice Joly - Recherches sur l'art de parvenir - Amyot éditeur - 1868.djvu/91

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où, dès l'origine de la monarchie, on voit tous les princes débonnaires, chassés, détrônés, avilis ou assassinés. Jamais on n'a vu dans ce pays la nation broncher sous une main violente, quelques coups qu'elle ait portés. Philippe Auguste, Philippe le Bel, Louis XI, Richelieu, Louis XIV avaient précisément ce don de la cruauté froide et implacable qui est d'un si grand prix dans les chefs d'Etat. Prodigues du sang, de la vie et de l'or de leurs sujets, leur gloire se continue dans la postérité. Le mal qui a suivi leurs pas fait partie de leur grandeur. En revanche, sous tous les princes faibles on a crié à la tyrannie, c'est dans l'ordre. La popularité des Robespierre et des Danton paraît puiser sa force dans le sang qu'ils ont versé. Napoléon Ier, qui a fait tuer un million d'hommes, et dont la main pesait, Dieu sait comme, a été l'âme de ce pays. Il est vrai qu'il n'en est point au monde d'aussi passionné pour la force ; mais son exemple n'en est que plus approprié.

On a pu voir déjà que ce que nous appelons l'art de parvenir n'est à tout prendre qu'une application de la politique à la direction de la vie. Du petit au grand c'est la même chose. On ne saurait pousser loin sa fortune sans une certaine noirceur de caractère qu'il faut acquérir de parti pris quand on n'a pas le bonheur de la posséder naturellement. On sent à merveille qu'il ne s'agit pas ici d'une méchanceté