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quieu qui représentera la politique du droit ; et Machiavel, ce sera Napoléon III, qui peindra lui-même son abominable politique[1].

L’idée était trouvée. L’exécution vint après des recherches infinies et je ne m’arrêterai pas ici sur les difficultés qu’elles présentèrent. Je songeais à paraître en France ; mais l’imprimeur Bourdier, auquel je dis qu’il s’agissait d’une traduction d’un auteur anglais du nom de Macpherson, reconnut Napoléon III, au bout de trois dialogues. Il refusa de continuer l’impression.

C’était pendant les vacances, je partis pour la Belgique. Voici quel était mon plan.

Connaissant la légèreté française et l’envie féroce que soulèvent les talents nouveaux, je ne songeai pas à signer l’ouvrage. J’étais certain que personne n’y ferait attention s’il était publié à Paris, mais qu’on le goûterait peut-être s’il y était introduit comme ouvrage prohibé et pamphlet contre l’empire.

Je dépensai 2,500 fr. de ma poche pour faire paraître l’ouvrage à Bruxelles[2] ; on fit un fort tirage et quand ce fut fini j’ourdis à moi seul une véritable conspiration pour l’introduction de l’ouvrage : Je me mets en rapport avec cinq colporteurs qui traverseront tour à tour la frontière et viendront établir des dépôts dans Paris. L’ouvrage sera déposé secrètement chez tous les hommes politiques connus ; une fois connu, recherché, les dépositaires choisis seraient chargés de le vendre clandestinement.

Tout cela fut fait. Je dépensai deux autres mille francs en tirages et en frais de transports clandestins. L’ouvrage sans nom d’auteur colporté dans différentes directions produisit l’effet le plus inattendu. On s’arrachait les exemplaires ; mille bruits couraient sur le véritable auteur de cette espèce de satyre ménippée. On parlait du duc d’Aumale, de M. Changarnier, de Marc Dufraisse. Cela m’amusait fort.

Tout à coup cinquante perquisitions se font en un seul jour dans Paris ; l’épervier de la police s’abat chez tous les dépositaires. J’avais été vendu par mes colporteurs, qui m’ayant attiré plusieurs fois dans des traquenards préparés, avaient fini par savoir mon nom, mon adresse, et certes je regrette de n’avoir pas le temps de raconter les épisodes curieux, quelquefois tragiques, des battues dont je fus l’objet.

Je ne peux aussi que noter en passant l’incident Dutard.

Perquisitionné comme vingt autres personnes qui me connaissaient, il prit peur. On venait de le décorer. Il me renvoya de chez lui avec

  1. La 2e édition qui est sous presse et qui a été faite à Sainte-Pélagie, sous la dictée des événements, présentera un tableau autrement saisissant et autrement vaste que celui que le public connaît.
  2. Chez Mertens, éditeur et imprimeur.