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éclat ; déclarant que j’avais trahi sa confiance en attaquant l’Empereur, dont il était le serviteur dévoué.

Rassurez-vous, bonnes gens, la conduite de Dutard est un miracle de bienveillance et de délicatesse à côté des procédés déplorables dont j’ai été l’objet depuis.

Qu’on me rende Dutard, c’est un protecteur, un père auprès de quelques-uns de ceux qui l’ont censuré et réprimandé pour désertion des devoirs du patronat.




Je suis arrêté, jugé, condamné pour publication en France, quoique l’ouvrage eût paru en Belgique ; arrêt de la Cour impériale, arrêt de la Cour de cassation, je plaide devant toutes les juridictions et je plaide moi-même, si ce n’est à la Cour impériale, où j’eus pour défenseur Me Desmarest, dont le cœur est aussi élevé, aussi chaleureux que le talent. Dix-huit mois de prison, six mois de procès ; total, deux ans de ma carrière perdue.

Sainte-Pélagie s’ouvre pour moi ; cependant l’Empire ne m’avait pas fait passer par le dépôt de la préfecture de police, où je suis en ce moment, grelottant de froid et souffrant d’un rhumatisme sciatique contracté dans les prisons de Bonaparte.

Si je l’avais servi, je serais probablement aujourd’hui au pouvoir, et l’un des décemvirs de la République. Ô fortune, ingrate fortune, qui ne favorise que les courtisans ! Rien ne me dédommagera jamais de ce que j’ai souffert !




Je passe en prison l’année 1866 et la moitié de l’année 1867.

L’ardeur de ma nature et de mon tempérament firent que j’y éprouvai des accidents nerveux qui se reproduisent sous l’empire de l’irritation et de la colère.

Dans cette triste demeure, je vis successivement entrer et sortir Laurent Pichat, Castagnary, Sauvestre, Longuet, Tridon, les frères Villeneuve, l’impur Clément Duvernois, qui se disait irréconciliable ; Poupart Davyl, qui ne pouvait se passer de moi ; Protot, le défenseur de Mégy ; Vermorel, combien d’autres, hélas !

Le travail me sauva de l’ennui et même de la mort, car l’inaction m’est impossible et toutes mes facultés se perdent dans l’oisiveté.