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Page:Maurice Leblanc (extrait L’homme à la peau de bique), 1999.djvu/13

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nant et puisque, après tout, il faut qu’elle mange et qu’elle boive…

— Quoi ?

— Vous ne devinez pas ?

— Non ! Et cependant, vous êtes sûr qu’elle est toujours là ?

— Certes, et la preuve, c’est le paysan qui a vu son ombre. Et c’est aussi, ajouterai-je, la disparition de ces deux chiens-loups, des molosses, qu’elle a escamotés comme des caniches d’appartement…

Et c’est aussi ce canon de fusil fiché en terre, stupidement, avec une fleur. Est-ce assez bête cela ? et niais ? et grotesque ? Allons, vous n’y êtes pas ? Aucun détail ne vous éclaire ? Non ? Alors le plus simple, voyez-vous, pour en finir et pour répondre à vos objections, c’est d’aller droit au but. Assez d’explications… Des actes. Donc, que ces messieurs de la police et de la gendarmerie veuillent bien y aller eux-mêmes, à ce but. Qu’ils prennent des fusils. Qu’ils explorent la forêt dans un rayon de deux ou trois cents mètres, pas davantage. Mais que, au lieu d’explorer, la tête basse et les yeux fixés au sol, ils regardent en l’air, oui, en l’air, parmi les branches et les feuilles des chênes les plus hauts et des hêtres les plus inaccessibles. Et croyez-moi, ils le verront. Il est là. Il est là, désemparé, pitoyable, en quête de celui et de celle qu’il a tués, et les cherchant, et les attendant, et n’osant s’éloigner, et ne comprenant pas…

Pour moi, je regrette infiniment d’être retenu à Paris par de grosses occupations et la mise en train d’affaires très compliquées, car j’aurais eu plaisir à suivre jusqu’au bout cette assez curieuse aventure.

Veuillez donc m’excuser auprès de mes bons amis de la justice, et croire, Monsieur le Directeur, à l’assurance de mes sentiments distingués.

Signé : Arsène Lupin. »

On se rappelle le dénouement. Ces messieurs de la justice et de la gendarmerie haussèrent les épaules et ne tinrent aucun compte de cette élucubration. Mais quatre hobereaux de la contrée prirent leurs fusils et se mirent en chasse, les yeux au ciel, comme s’ils eussent voulu démolir quelques corbeaux. Au bout d’une demi-heure, ils apercevaient l’assassin. Deux coups de feu : il dégringola de branche en branche.