Page:Maurice Leblanc - La Barre-y-va.djvu/138

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Le ciel était de plus en plus gris. Cependant, là-bas, à soixante ou quatre-vingts mètres environ, on voyait toujours les deux ombres immobiles, pareilles à des statues. Le vent croissait en force.

Quelques minutes s’écoulèrent. Une des ombres fit un geste lent. L’autre, qui était dans l’île, se courba davantage au-dessus de la rivière.

Raoul épaula.

Catherine, éplorée, supplia :

« Je vous en prie… je vous en prie…

— Que voulez-vous que je fasse ? demanda-t-il.

— Courir sur eux et les saisir.

— Et s’ils s’enfuient ? S’ils nous échappent ?

— Impossible.

— Je préfère une certitude. »

Il visa.

Le cœur des deux jeunes femmes se crispa. Elles eussent voulu que l’acte terrible fût accompli déjà, et elles redoutaient d’entendre l’explosion.

Dans l’île, l’ombre s’inclina davantage encore, puis s’éloigna. Était-ce le signal du départ ?

Coup sur coup, il y eut deux détonations. Raoul avait tiré. Et là-bas, les deux êtres roulèrent sur l’herbe, avec des gémissements.

« Ne bougez pas d’ici, enjoignit Raoul à Bertrande et à Catherine… Ne bougez pas ! »

Et, comme elles insistaient pour le suivre :

« Non, non, dit-il, on ne sait jamais comment ces bougres-là peuvent réagir. Attendez-nous et préparez ce qu’il faut pour les soigner. D’ailleurs ce n’est pas bien grave. Je leur ai tiré aux jambes, avec du menu plomb. Béchoux, tu trouveras dans le coffre du vestibule des courroies de cuir et deux cordes. »

Lui-même, en passant, il se saisit d’un fauteuil transatlantique qui pouvait servir de brancard, et il alla, sans se presser, vers la rivière, sur les bords de laquelle les deux blessés, gisaient, inertes.