Page:Maurice Leblanc - La Barre-y-va.djvu/17

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et vidait la tasse. Ensuite, il se rasa, se lava dehors à même un baquet d’eau froide, et, restauré, ragaillardi, lança dans l’estomac de Béchoux un vigoureux coup de poing.

« Vas-y de ton discours, Théodore. Sois bref et méticuleux, éloquent et sec, tumultueux et méthodique. N’oublie pas un seul détail et n’en donne pas un de trop… Mais d’abord que je te regarde !… »

Il le saisit aux épaules et l’examina :

« Toujours le même… Tu n’as pas changé… Des bras trop longs… Une figure à la fois bonasse et revêche, l’air prétentieux et dégoûté… une élégance de garçon de café… Vrai, tu as de l’allure. Et maintenant, jaspine. Je ne t’interromprai pas une fois. »

Béchoux réfléchit et commença :

« La demeure voisine…

— Un mot, dit Raoul. À quel titre es-tu mêlé à cette affaire ? Comme brigadier de la Sûreté ?

— Non. Comme familier de la maison depuis deux mois, c’est-à-dire depuis le mois d’avril où je suis venu à Radicatel en convalescence, après une double pneumonie qui a failli…

— Aucun intérêt. Continue. Je ne t’interroge plus.

— Je disais donc que le domaine de la Barre-y-va…

— Drôle de nom ! s’écria d’Avenac. Le même nom que celui de cette petite chapelle juchée sur la côte, près de Caudebec, et où va la barre, c’est-à-dire le flot, le mascaret qui remonte la Seine deux fois par jour et surtout à l’équinoxe. La barre y va, ou plutôt elle monte jusqu’à cet endroit, malgré la hauteur. C’est bien ça, hein ?

— Oui. Mais ici ce n’est pas à proprement parler la Seine qui remonte jusqu’au village, c’est la rivière que tu as peut-être remarquée, l’Aurelle,