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kiel et tanger

M. Delcassé était fait à souhait pour comprendre ce prurit de magnificence, car il éprouvait

    à fait cet aspect peu connu du caractère de M. Loubet.

    — J’ignore ce qui se passe ; on ne me tient au courant de rien », lui a dit tout d’abord l’ancien Président de la République.

    Et, montrant les portraits des souverains qui l’entourent, il ajouta : « Regardez ces illustres personnages. Ceux-là se souviennent. Ils me comblent d’attentions délicates dont je suis touché. Quand le roi d’Angleterre vient à Paris, il fait déposer sa carte chez moi ; à la fin de chaque année, je reçois la visite de l’ambassadeur de Russie. Ces souverains et ces princes ont une courtoisie raffinée ; ils n’oublient ni les amitiés anciennes, ni les services rendus. »

    Et, comme son interlocuteur s’étonne qu’on ne donne pas aux anciens présidents une situation digne d’eux, M. Loubet sourit. « Que voulez-vous ? dit-il ; l’ingratitude est une plante démocratique. » Et un peu plus loin :

    — Tout à l’heure, dit-il, j’exprimais ma gratitude envers les souverains. Le public les juge mal, d’après de fausses légendes. Ainsi, on voit généralement en l’empereur Nicolas un homme excellent, généreux, mais un peu faible, sans défense contre les pressions du dedans et du dehors, mobile, influençable. Erreur, profondé erreur ! Il est attaché à ses idées, il les défend avec patience et ténacité ; il a des plans longuement médités et conçus dont il poursuit lentement la réalisation.

    « Longtemps à l’avance, il avait prévu le rapprochement franco-anglais, il le déclarait nécessaire ; il le favorisa ardemment. Lorsque l’accord fut signé, il me fit écrire : « Vous souvenez-vous de nos entretiens de Compiègne ? » Sous des apparences timorées, un peu féminines, le tzar est une âme forte, un cœur viril, immuablement fidèle. Il sait où il va et ce qu’il veut. »

    L’ancien président ne tarit pas d’anecdotes sur le roi Édouard VII, qu’il a vu dans les circonstances les plus diverses, à l’époque surtout où la France et l’Angleterre se menaçaient. Il rappelle les mesures prises pour protéger le roi lors de sa première visite officielle à Paris. « Le lendemain du gala au Théâtre-Français, dit M. Loubet, le