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renée vivien

terranés vus et rendus par une fille de l’Océan. Dans une lettre datée de Rome, un philosophe féminin aussi adroit, aussi pénétrant dans son art que Renée Vivien dans le sien, a outré cette différence des deux climats et des deux sensibilités, mais les formules excessives sont quelquefois utiles : « Ici la lucidité de l’atmosphère ne laisse aucun moyen à l’illusion. On voit ce qui est comme cela est. La pensée ne se déséquilibre pas aux contrastes chaotiques ; un goût irrésistible et absolu a dirigé la nature et mené l’homme. La forêt du nord enchevêtrée, obscure, ou ses villes entassées, sont propres à nourrir l’angoisse du vieux Faust, à dilater la turbulence verbale de Manfred, — Rome et ses paysages sont faits pour l’épopée qui surhausse l’être humain, mais le laissent dans l’humanité : on a devant eux des cœurs passionnés et sages[1] » Je crois bien que Rome et Mitylène connaissent aussi l’illusion et l’incertitude. La lumière a des mystères qui transfigurent. Mais il n’est pas moins vrai que les cœurs passionnés y demeurent sages ; lucides, les yeux enflammés. Les émotions senties y sont connues, classées, et, sans doute grâce à la maturité du langage et de la pensée, le trouble intérieur n’est pas incompatible avec la clairvoyance. Cette clarté exclut une multitude de monstres, dont je ne veux nier ni la douceur ni l’agrément ; j’en nie la beauté, la beauté vraie, celle qu’on nomme grecque. Non, l’impression démesurée, le sens indéfini, le rêve trop flottant, la

  1. Fœmina, Lettres romaines (Figaro du 31 mars 1903).