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Page:Maurras - L’Avenir de l’Intelligence.djvu/237

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la comtesse de noailles

Puis, jetant dehors sa main nue, faible, puissante, elle ajouta :

Et la possibilité de l’amour de tous les autres.

Quelque temps après, elle ajoute, dans une lettre, autre chose d’infiniment plus net : « Ce n’est pas vous que j’aime ; j’aime aimer comme je vous aime. Je ne compte sur vous pour rien dans la vie, mon bien-aimé. Je n’attends de vous que mon amour pour vous. »

Ainsi un certain degré d’attention sur soi-même en arrive à faire tourner jusqu’à l’amour, comme le mauvais œil faisait jadis tourner le vin. Oui, l’amour se meurtrit, une fois revenu dans le cœur aimant qui ne l’avait créé que pour se répandre et se fuir. Il se résorbe dans cet élémentaire amour de l’amour que tous les psychologues distingueront de l’amour vrai, dont il est la corruption ou le résidu. L’amour de l’amour tue l’amour, observait-on plus haut. Ou peut-être n’existe-t-il que pour avoir tué l’amour. Aimer l’amour, c’est s’aimer soi : le livre qui le montre atteint par là un rare caractère de profondeur et de vérité. À force de s’aimer, à force d’accorder à chaque fragment, à chaque minute de soi l’indulgence absolue et l’adoration infinie, il arrive qu’un de ces fragments, éphémère hypertrophié, devient le meurtrier des autres : il ne peut même plus supporter la pensée des instants à vivre, s’ils ne sont identiques à lui, s’ils sont autre chose que son propre prolongement, et l’être à ce degré de despotisme n’aspire plus qu’à s’anéantir : il s’anéantit et se dissout en effet, par