Voilà le dernier cercle de la méprise. Il fallait y tomber du moment que l’on se mettait à écrire dans la seule intention de se traduire, soi. Dupe de soi, il faut être dupe du mot. On veut sentir tout ce qu’on est ; on veut nommer tout ce qu’on sent. On est donc amené à sentir bien au delà de la normale.
Folie, névrose est vite dit. Des pathologistes superficiels pourront seuls s’en tenir à ce diagnostic. Si l’on veut bien étudier les antécédents de la névrose, il faut relever là l’aboutissement nécessaire des fortunes du mot, depuis Hugo et Lamartine jusqu’à Verlaine et Mallarmé.
D’élément subordonné à la syntaxe, le mot est devenu, avec le romantisme, élément principal. Chez Mallarmé, les mots s’arrangèrent sur le papier d’après leurs attraits mutuels et leurs exclusions réciproques : affinités, appels, contrastes purement mécaniques, qui n’exigeaient aucune opération de l’esprit du poète, ni son choix, ni son jugement : seule opérait la faculté élémentaire de sentir et d’associer spontanément les images.
Les théories esthétiques de Mallarmé auraient pu s’appliquer sans réserve pour une espèce d’animaux à laquelle eussent fait défaut les facultés supérieures de l’intelligence. Pour des hommes complets la gageure est plus difficile. Les disciples de Mallarmé n’ont jamais été bien ardents, ni bien exacts à se mutiler de la sorte. Ils avaient conscience de la futilité du jeu. Peut-être sentaient-ils qu’à trop vouloir rétrécir l’enceinte de l’âme, on la diminue en effet.