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le romantisme féminin

Mme de Noailles ne craint pas de se contredire en le constatant. « Je suis née ivre », écrit-elle, avec une lucidité très froide. « Je, moi… » ? Et elle demande aussitôt à son amant : « N’êtes-vous pas ivre d’être vous-même ? »

Or, l’amant ne l’est pas du tout. Ce genre de plénitude, qui est commun chez les fats, est aussi accordé aux professionnels de l’amour, espèce qui procède d’un sexe mitoyen entre l’homme et la femme. Il n’est pas normal qu’un amant soit ivre de lui : qu’une femme soit ivre d’elle, la nature entière le veut. Point d’énergie, point de fierté, point de violence dans aucun amour de femme sans un juste et glorieux sentiment du moi dans le nous. Le despotique amour de Sabine de Fontenay ne permet à Philippe Forbier qu’un plaisir, celui de l’aimer. En cas de manquement, elle l’accusera d’injustice, de dol, de vol, et elle éclatera en ces sombres reproches, que connaissent également les sectaires et les victimes de la religion de l’Amour, le plus sombre et le plus étroit des monothéismes humains.

Lisons et relisons la page merveilleuse où Sabine ne se contente pas d’être jalouse des sensations de son amant, comme l’Amour pour sa Psyché dans la mélodie de Corneille. Elle défendra à Philippe toute pensée voisine de la distraction :

Le départ de Philippe fut fixé au lendemain.

Il devait prendre un train du soir, et de bonne heure Sabine fut chez lui. Elle avait, ce jour-là, son visage et ses gestes d’activité, son regard précis et gai. Philippe {tiret|95}}