Page:Maurras - L’Avenir de l’Intelligence.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
255
leur principe commun

nait d’une chaise à l’autre dans la bibliothèque, où il déplaçait ses livres. Il menait naturellement deux sentiments à la fois, et, quoiqu’il fît avec ordre et netteté ce dont il s’occupait, la tristesse qui enveloppait ses actes leur donnait l’apparence de la négligence et de l’importunité.

La vie sensible était en lui si abondante qu’il mourait et renaissait de deux sensations contraires.

Sabine, penchée sur une petite caisse de bois, y jetait les livres et les papiers que Philippe lui tendait. Soudain, reprenant des mains de la jeune femme un volume qu’il venait de lui remettre :

Ah ! — dit-il, — voilà une admirable étude sur le crime et la pénalité que je vais lire là-bas.

Et son visage s’éclairait.

Cela va vous amuser ? demanda Mme  de Fontenay sur un ton d’apparente indifférence.

Oh ! oui, — répondit Philippe, — avec cette voix d’amour qu’il avait en parlant des choses où son désir glissait. — Un si beau livre et un sujet si passionnant !

— Et moi, — répondit-elle, — qu’est-ce que j’aurai pour m’amuser ?

Il ne faut pas être grand connaisseur pour distinguer ceci de nos jalousies d’hommes. Nos jalousies sont humbles. Dans une page admirable de son Lys rouge, M. Anatole France a parfaitement fait saisir comment le bon sens, la raison, le manque de fatuité, le sentiment d’une indignité naturelle devant le caprice divin et la grâce arbitraire d’une femme adorée contribuent à tordre d’angoisse et à percer d’effroi le cœur du jaloux naturel : la blessure est d’autant plus cuisante qu’il prend de lui une estimation plus modeste. Chez Sabine de Fontenay, l’amour-propre est à vif. C’est un mélange d’amour-propre et d’orgueil tyran-