les sentiments. Aucun préjugé n’est coupable, ni aucune tradition. C’est la vie générale qui marche d’un tel pas qu’il est absolument hors de ses moyens de la suivre, pour peu qu’il veuille y figurer à son honneur. Il la visite en étranger, à titre de curieux ou de curiosité[1]. Absent pour l’ordinaire, on le traite en absent : c’est-à-dire que des mœurs qui se fondent sans lui font abstraction de sa personne, de son pouvoir, de sa fonction. On l’ignore, et c’est en suite de l’ignorance dans laquelle il a permis de le laisser qu’on en vient à le négliger. De la négligence au dédain, ce n’est qu’une nuance que la facilité et les malignités de la conversation ont fait franchir avant que personne y prenne garde.
Au temps où la vie reste simple, la distinction de l’Intelligence affranchit et élève même dans l’ordre matériel ; mais, quand la vie s’est compliquée, le jeu naturel des complications ôte à ce genre de mérite sa liberté, sa force : il a besoin pour se produire d’autre chose que de lui-même et, justement, de ce qu’il n’a pas.
Les intéressés, avertis par les regards et par les
- ↑ C’est la condition des écrivains mariés qui permettrait d’apprécier avec la rigueur nécessaire le sens de cette distinction. La Bruyère disait, ce qui cessa peut-être d’être absolument vrai dans une courte période, à l’apogée de l’Intelligence, et ce qui redevient d’une vérité chaque jour plus claire : « Un homme libre et qui n’a point de femme, s’il a quelque esprit, peut s’élever au-dessus de sa fortune, se mêler dans le monde et aller de pair avec les plus honnêtes gens : cela est moins facile à celui qui est engagé : il semble que le mariage met tout le monde dans son ordre. » Et, si cela redevient vrai, il faut donc que des ordres tendent à se consolider ?Tout l’indique.