sous toutes ses formes, les éloges vendus, le silence acheté… Les éditeurs traitent ; les théâtres feront bientôt de même. La critique dramatique tombera comme la critique littéraire. »
M. Paul Brulat ne croit pas à la liberté de la Presse, qui n’existe même point pour les bailleurs de fonds des journaux : « Non, même pour ceux-ci, elle est un leurre. Un journal, n’étant entre leurs mains qu’une affaire, ne saurait avoir d’autre souci que de plaire au public, de retenir l’abonné[1]. » Sainte-Beuve, en observant, dès 1839, que la littérature industrielle tuerait la critique, commençait à sentir germer en lui le même scepticisme que M. Paul Brulat. Une même loi « libérale », disait-il, la loi Martignac, allégea la Presse « à l’endroit de la police et de la politique », « accrut la charge industrielle des journaux ».
Ce curieux pronostic va plus loin que la pensée de celui qui le formulait. Il explique la triste histoire de la déconsidération de la Presse en ce siècle-ci. En même temps que la liberté politique, chose toute verbale, elle a reçu la servitude économique, dure réalité, en vertu de laquelle toute foi dans son indépendance s’efface, ou s’effacera avant peu. Cela à droite comme à gauche. On représentait à un personnage important du monde conservateur que le candidat proposé pour la direction d’un grand journal cumulait la réputation de pédéraste, d’escroc et de maître-chanteur : « Oh ! » murmura ce personnage en haussant les épaules, « vous savez bien qu’il ne faut pas être trop difficile en fait
- ↑ Cet article de M. Brulat a paru dans l’Aurore du 9 janv. 1903.