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De même si les changements de la structure sociale agissent sur les institutions, c’est parce qu’ils modifient l’état des idées et des tendances dont elles sont l’objet ; par exemple si la formation de la cité accentue fortement le régime de la famille patriarcale, c’est que ce complexus d’idées et de sentiments qui constitue la vie de famille change nécessairement à mesure que la cité se resserre. Pour employer le langage courant, on pourrait dire que toute la force des faits sociaux leur vient de l’opinion. C’est l’opinion qui dicte les règles morales et qui, directement ou indirectement, les sanctionne. Et l’on peut même dire que tout changement dans les institutions est, au fond, un changement dans l’opinion : c’est parce que les sentiments collectifs de pitié pour le criminel entrent en lutte avec les sentiments collectifs réclamant la peine que le régime pénal s’adoucit progressivement. Tout se passe dans la sphère de l’opinion publique ; mais celle-ci est proprement ce que nous appelons le système des représentations collectives. Les faits sociaux sont donc des causes parce qu’ils sont des représentations ou agissent sur des représentations. Le fond intime de la vie sociale est un ensemble de représentations.

En ce sens, donc, on pourrait dire que la sociologie est une psychologie. Nous accepterions cette formule, mais à condition expresse d’ajouter que cette psychologie est spécifiquement distincte de la psychologie individuelle. Les représentations dont traite la première sont, en effet, d’une tout autre nature que celles dont s’occupe la seconde. C’est déjà ce qui ressort de ce que nous avons dit à propos des caractères du phénomène social, car il est évident que des faits qui possèdent des propriétés aussi différentes ne peuvent pas être de même espèce. Il y a, dans les consciences, des représentations collectives qui sont distinctes des représentations individuelles. Sans doute les sociétés ne sont faites que d’individus et, par conséquent, les représentations collectives ne sont dues qu’à la manière dont les consciences individuelles peuvent agir et réagir les unes sur les autres au sein d’un groupe constitué. Mais ces actions et ces réactions dégagent des phénomènes psychiques d’un genre nouveau qui sont capables d’évoluer par eux-mêmes, de se modifier mutuellement et dont l’ensemble forme un système défini. Non seulement les représentations collectives sont faites d’autres éléments que les représentations individuelles, mais encore elles ont en réalité un autre objet. Ce qu’elles expriment, en effet,