Page:Mauss - Essais de sociologie, 1971.pdf/35

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les analyser, et, dans quelques cas, d’en donner d’approximatives mensurations. Il faut donc des procédés spéciaux et rigoureux d’observation ; il faut, pour prendre le langage habituel, des méthodes critiques. L’emploi de ces méthodes varie naturellement avec les faits variés que la sociologie observe. C’est ainsi qu’il existe des moyens différents pour analyser un rite religieux et pour décrire la formation d’une ville. Mais l’esprit, la méthode du travail restent identiques, et l’on ne peut classer les méthodes critiques que suivant la nature des documents auxquels elles s’appliquent : les uns sont les documents statistiques, presque tous modernes, récents, les autres sont les documents historiques. Les problèmes nombreux qui soulèvent l’utilisation de ces documents sont assez différents, en même temps qu’assez analogues.

Dans tout travail qui s’appuie sur des éléments statistiques, il est important, indispensable d’exposer soigneusement la façon dont on est arrivé aux données dont on se sert. Car, dans l’état actuel des diverses statistiques judiciaires, économiques, démographiques, etc., chaque document appelle la plus sévère critique. Considérons en effet les documents officiels, qui, en général, offrent le plus de garanties. Ces documents eux-mêmes doivent être examinés dans tous leurs détails, et il faut bien connaître les principes qui ont présidé à leur confection. Faute de précautions minutieuses, on risque d’aboutir à des données fausses : ainsi il est impossible d’utiliser les renseignements statistiques sur le suicide en Angleterre, car, dans ce pays, pour éviter les rigueurs de la loi, la plupart des suicides sont déclarés sous le nom de mort par suite de folie ; la statistique est ainsi viciée dans son fondement. Il faut, de plus, avoir le soin de réduire à des faits comparables les données d’origines diverses dont on dispose. Faute d’avoir ainsi procédé, beaucoup de travaux de sociologie morale, par exemple, contiennent de graves erreurs. On a comparé des nombres qui n’ont pas du tout la même signification dans les diverses statistiques européennes. En effet, les statistiques sont fondées sur les codes, et les divers codes n’ont ni la même classification, ni la même nomenclature ; par exemple, la loi anglaise ne distingue pas l’homicide par imprudence de l’homicide volontaire. De plus, comme toute observation scientifique, l’observation statistique doit tendre à être la plus exacte et la plus détaillée possible. Souvent, en effet, le caractère des faits change, lorsqu’à une observation générale, on substitue