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pour découvrir immédiatement certains rapports insoupçonnés. C’est un fait de ce genre que Fison et Howitt ont rencontré, lorsqu’ils ont jeté une clarté nouvelle sur les formes primitives de la famille en expliquant le système de la parenté et des classes exogamiques dans certaines tribus australiennes. Mais, en général, nous n’atteignons pas directement, par la simple observation, de ces faits cruciaux. Il faut donc employer tout un ensemble de procédés méthodiques spéciaux pour établir les relations qui existent entre les faits. Ici la sociologie se trouve dans un état d’infériorité par rapport aux autres sciences. L’expérimentation n’y est pas possible ; on ne peut susciter, volontairement, des faits sociaux typiques que l’on pourrait ensuite étudier. Il faut donc recourir à la comparaison des divers faits sociaux d’une même catégorie dans diverses sociétés, afin de tâcher de dégager leur essence. Au fond, une comparaison bien conduite peut donner, en sociologie, des résultats équivalents à ceux d’une expérimentation. On procède à peu près comme les zoologistes, comme a procédé notamment Darwin. Celui-ci ne put pas, sauf pour une seule exception, faire de véritables expériences et créer des espèces variées ; il dut faire un tableau général des faits qu’il connaissait concernant l’origine des espèces ; et c’est de la comparaison méthodique de ces faits qu’il dégagea ses hypothèses. De même en sociologie, Morgan ayant constaté l’identité du système familial iroquois, hawaïen, fijien, etc., put faire l’hypothèse du clan à descendance maternelle. En général d’ailleurs, quand la comparaison a été maniée par de véritables savants, elle a toujours donné de bons résultats en matière de faits sociaux. Même lorsqu’elle n’a pas laissé de résidu théorique, comme dans les travaux de l’école anglaise anthropologique, elle a, tout au moins, abouti à dresser un classement général d’un grand nombre de faits.

Au surplus, on s’efforce et l’on doit s’efforcer de rendre la comparaison toujours plus exacte. Certains auteurs, Tylor et Steinmetz entre autres, ont même proposé et employé, l’un à propos de mariage, l’autre à propos de la peine et de l’endocannibalisme, une méthode statistique. Les concordances et les différences entre les faits constatés s’y expriment en chiffres. Mais les résultats de cette méthode sont loin d’être satisfaisants, car on y nomme des faits empruntés aux sociétés les plus diverses et les plus hétérogènes, et enregistrés dans des documents de