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Essais de sociologie

que c’est que le souverain. Il ne faut pas sous-estimer le bénéfice de pareils éclats du génie humain. La trouvaille et la recherche de ces prises de conscience collective, forment le meilleur fondement des études de sociologie et de politique actuelles. L’École historique et de pure observation domine enfin avec raison : or, elle puise dans les théories implicites, comme dans les théories explicites de tous les temps, le principe et la substance de ses idées.

Seulement, elle est encore trop attardée ; elle ne considère que les formes et les constitutions. C’est ici que la sociologie peut lui donner une importante impulsion. Normalement, même en régime parlementaire ou réglementaire, même dans nos arts politiques qui prétendent être positifs, expérimentaux, qui essaient de se fonder sur des statistiques et des chiffres, même dans nos affaires, où l’art comptable rend tant et de si bons services, c’est cependant l’inconscient, le besoin évoquant sa satisfaction, c’est l’action qui dominent. Cette dernière est éclairée, certes, ni aveugle, ni mystique, pourtant elle reste inanalysable ou peu analysée. Or, il est possible de faire une théorie de l’art politique : d’abord avec l’aide de ces prises de conscience de la collectivité elle-même qui sait choisir ses dirigeants et les inspirer ; puis, avec tous les procédés de l’histoire comparée, permettant l’analyse des faits ; en un mot, à l’aide d’une « pragmatique » comme disait Aristote. On peut constituer une science de l’art social. Cette science commence à se constituer : elle consiste simplement à apercevoir, grâce à ces données, connues déjà en partie, comment, par quels procédés politiques, les hommes agissent, ont su ou cru agir les uns sur les autres, se répartir en milieux et groupes divers, réagir sur d’autres sociétés ou sur le milieu physique. On voit comment cette théorie de cet art fait partie d’une sociologie à la fois générale et concrète.

Cette science de l’art social, nous la plaçons dans l’Année, parmi les disciplines ressortissant à la sociologie morale et juridique, ou dans la sociologie générale. Nous avons déjà avoué ces flottements. Dans le premier cas, nous opérons ainsi sous prétexte que le phénomène de l’État est un phénomène juridique. Il est vrai : l’État, organisme politique de la société, la constitution, l’établissement d’un pouvoir souverain sont des faits juridiques et moraux. Mais ils sont sûrement davantage. Ils concourent au tout de la société et tout y concourt vers eux. Dans quelle mesure ?