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Division concrète de la sociologie
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Nous ne savons pas le préciser, nous ne savons que le faire sentir. Les frontières de l’État, par exemple, ce point hypersensible de la société et de l’État politique, sont de l’ordre morphologique, nous l’avons déjà dit ; et ainsi de suite… L’art politique et la science de cet art doivent donc, comme la sociologie elle-même, tenir compte de tous les faits sociaux. En particulier dans nos sociétés modernes, les phénomènes économiques et morphologiques (démographiques) entrent sous sa juridiction. Tout spécialement, des choses importantes qui échappent à nos rubriques : la tradition, l’enseignement, l’éducation, en sont parties essentielles. Il faut donc rompre le cadre étroit de la théorie juridique de l’État. Il faut étendre la théorie politique à celle de l’action globale de l’État. Il faut aller plus loin, voir les sous-groupes : non seulement analyser l’action du centre, mais aussi celle de tous les groupes secondaires, volontaires ou involontaires, permanents ou temporaires, dont est composée une société.

Normalement, cette théorie de l’art social élargit la politique. De ce côté, son action est un bienfait. Car si la confusion du problème de l’État, de la souveraineté, avec un problème juridique fut fatale, elle constitue une erreur de fait et une erreur pratique. Procéder de la façon habituelle mène aux pires dangers. Les fondateurs de la science positive des sociétés, fondateurs aussi de la politique positive, Saint-Simon, Comte, firent immédiatement prêter attention à cette faute. Ils avaient une certaine haine du législateur, de l’homme de loi, de l’administration, et un certain fétichisme de l’« industriel », du « savant », du « producteur ». Cette attitude est devenue traditionnelle dans le socialisme et jusqu’au bolchevisme. Évitons leur excès, car l’art de gérer et de commander et de manœuvrer légalement sera toujours essentiel à la vie en commun, même à la vie technique. Il reste que, un peu par la force des choses et beaucoup par force d’inertie, nos parlementarismes occidentaux remettent à trop de robins et de publicistes, le soin d’intérêts qui dépassent les limites de la légalité et de la bureaucratie. Il faudra donc, de toute nécessité, rompre avec la tradition antique qui a mené la politique, depuis les chancelleries lagides et romaines, jusqu’au Conseil privé des rois. Les sociétés modernes savent que bien des choses éminemment sociales ne doivent pas être remises à des fonctionnaires, à des conseillers, à des légistes. Celles qui mettent en jeu et même en question la société elle-même, comme la guerre et