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Essais de sociologie

comprend des cris, des discours, des chants. Mais nous pourrions étendre notre recherche à toutes sortes d’autres rites, manuels en particulier, dans les mêmes cultes funéraires et chez les mêmes Australiens. Quelques indications, en terminant, suffiront d’ailleurs pour permettre de suivre la question dans un domaine plus large. Elle a d’ailleurs été déjà étudiée par nos regrettés Robert Hertz[1] et Émile Durkheim[2] à propos des mêmes cultes funéraires que l’un tenta d’expliquer, et dont l’autre se servait pour montrer le caractère collectif du rituel piaculaire. Durkheim a même posé, par opposition à M. F.-B. Jevons[3], la règle que le deuil n’est pas l’expression spontanée d’émotions individuelles. Nous allons reprendre cette démonstration avec quelques détails, et à propos des rites oraux.


Les rites oraux funéraires en Australie se composent :

  1. de cris et hurlements, souvent mélodiques et rythmés ;
  2. de voceros souvent chantés ;
  3. de véritables séances de spiritisme ;
  4. de conversations avec le mort.

Négligeons pour un instant les deux dernières catégories. Cette négligence est sans inconvénient. Ces débuts du culte des morts proprement dit sont des faits fort évolués, et assez peu typiques. D’autre part leur caractère collectif est extraordinairement marqué ; ce sont des cérémonies publiques, bien réglées, faisant partie du rituel de la vendetta et de la détermination des responsabilités[4]. Ainsi, chez les tribus de la rivière Tully[5], tout ce rituel prend place dans des danses funéraires chantées d’un long développement. Le mort y assiste, en personne, par son cadavre desséché qui est l’objet d’une sorte de primitive

  1. « Représentation collective de la mort », Année sociologique, X, p. 18 s.
  2. Formes élémentaires de la vie religieuse, p. 567 s.
  3. Introduction to the History of Religion, p. 46 s. — Sir J. G. Frazer, The Belief in Immortality and the Worship of the Dead, 1913, p. 147, voit bien que ces rites sont réglés par la coutume, mais leur donne une explication purement animiste, intellectualiste en somme.
  4. Cf. Fauconnet, La Responsabilité, 1920, p. 236 s.
  5. W. Roth, Bulletin (Queensland Ethnography) 9, p. 390, 391. Cf. « Superstition, Magic, and Medicine », Bulletin 3, p. 26, no 99,  s.