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les pirates de la mer rouge

— Cela dépend. »

Ces réponses me parurent plus que monosyllabiques, elles étaient impertinentes. Je secouai la tête en affectant un air de pitié.

« Tu es un kelleh (un malheureux), envers lequel le Coran commande la compassion ; je te plains ! »

Il me regarda moitié fâché, moitié étonné, et reprit :

« Tu me plains, tu m’appelles malheureux ; et pourquoi ?

— Allah a bien voulu accorder la parole à tes lèvres, mais ton âme est muette. Tourne-toi vers le Kiblah[1] et prie Dieu qu’il te rende le don de l’intelligence autrement tu deviendras indigne de prétendre au paradis. »

Il sourit et porta la main à sa ceinture, garnie de deux gigantesques pistolets.

« Le silence vaut mieux que le bavardage, dit-il. Tu es un bavard, mais le mergi-bachi Mourad Ibrahim sait se taire.

— Mergi-bachi ? Un haut officier de la douane ! Tu es un homme puissant et renommé, mais cela ne doit pas t’empêcher de répondre à ceux qui t’interrogent quand la nécessité les y oblige.

— Tu me menaces ? Tu es, comme je l’ai vu tout de suite, un Arabe djeheïne. »

Cette race est connue, sur les bords de la mer Rouge, comme celle des pillards et des voleurs les plus dangereux. Le fonctionnaire douanier me prenait pour un homme de cette tribu, cela m’expliquait son dédain. Je lui demandai :

« As-tu peur des Djeheïnes ?

— Peur ? Mourad Ibrahim ne connaît pas la peur ! »

Les yeux du Turc élincelaient en me regardant ; je ne crus pas cependant à sa feinte colère, et je continuai avec calme :

« Et si j’étais un Djeheïne ?

— Eh bien, je ne te craindrais pas !

— Naturellement ! tu as douze matelots à tes côtés, et nous ne sommes que quatre. Mais je ne suis pas ce que tu crois ; je ne suis pas un fils des Arabes, je viens des pays du couchant.

— Tu portes un costume de Bédouin et tu parles la langue des Arabes.

  1. Orientation de la Mecque.