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Page:May - Les Pirates de la Mer Rouge, 1891.djvu/136

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les pirates de la mer rouge

— Est-ce défendu ?

— Non ; es-tu Français ou Anglais ?

— J’appartiens au peuple des Nemsi. »

Mourad fit une moue dédaigneuse.

« Alors tu es un jardinier ou un marchand ?

— Ni l’un ni l’autre ; je suis un yazmadji.

— Un écrivain ! ô misère ! Moi qui te prenais pour un vaillant Bédouin ! Qu’est-ce qu’un écrivain ? Ce n’est pas un homme ! Un écrivain est une créature qui se nourrit de plumes et boit de l’encre. Il n’a ni sang dans les veines, ni cœur dans la poitrine, ni courage, ni…

— Arrête, Mourad Ibrahim ! regarde ce que je tiens dans ma main, » intervint mon impétueux Halef en brandissant son fameux fouet du Nil.

Le Turc fronça les sourcils et haussa les épaules en murmurant :

« Un fouet !

— Oui, un fouet ; je suis Hadji Halef Omar, ben hadji Aboul Abbas, ibn hadji Daoud al Gossarah ; celui-ci s’appelle Sidi Kara ben Nemsi ; il ne craint personne, entends-tu ! Nous avons parcouru ensemble le Sahara et l’Egypte entière ; nous avons accompli des actions de héros. On parlera de nous dans tous les cafés et dans tous les cimetières du monde, sois-en sûr. Si tu oses dire encore un seul mot de mépris contre mon Effendi, tu tâteras de cette verge ; oui, en dépit de ta dignité et de tous les hommes qui sont autour de toi ! »

Cette bravade opéra instantanément un remue-ménage singulier. Les deux Bédouins qui nous avaient amenés reculèrent, les matelots se levèrent tous ; le bachi saisit son pistolet, mais Halef pointait déjà le sien contre la poitrine du Turc.

« Empoignez-le ! » cria l’officier de la douane. Ses gens avancèrent avec une mine terrible ; aucun d’eux cependant ne mit la main sur Halef.

« Sais-tu, demanda le mergi-bachi, sais-tu comment on appelle l’action que tu viens de commettre, menacer du fouet un mergi-bachi !

— Oui, s’écria Halef, mais un mergi-bachi devrait parler le langage de la sagesse et non celui des injures ; je ne te crains pas ; tu es un esclave du Grand Seigneur et moi un Arabe libre. »