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Page:May - Les Pirates de la Mer Rouge, 1891.djvu/12

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UNE AVENTURE EN TUNISIE

passé sous mon bras ; si maigre, si menu, qu’il faisait songer aux plantes desséchées d’un herbier. Sa petite tête disparaissait presque complètement sous un turban de trois pieds de diamètre ; son burnous, jadis blanc, avait pris toutes les nuances de la saleté. Certes, ce manteau avait été fait pour un homme beaucoup plus grand ; de sorte que, quand mon brave petit compagnon descendait de cheval, il était obligé de porter sa queue sur son bras, comme les amazones. Malgré son étrange accoutrement, mon Halef savait fort bien se faire respecter : son intelligence était au-dessus de l’ordinaire dans sa condition ; il montrait en toute circonstance un courage, une adresse, une persévérance, que rien ne rebutait. De plus, il parlait tous les dialectes usités dans ces contrées, ce qui était inappréciable ; aussi le traitais-je en ami plutôt qu’en serviteur.

Un seul point nous divisait : Halef, musulman convaincu, ne croyait pouvoir mieux me témoigner son affection qu’en essayant de me convertir à l’Islam. Il venait justement de se lancer dans une nouvelle tentative à cet égard, et je ne pouvais m’empêcher de sourire pendant qu’il se démenait de la façon la plus grotesque.

Je chevauchais sur un petit cheval berbère à demi sauvage, et si bas de jambes que mes pieds touchaient presque la terre ; Halef avait enfourché une vieille et maigre jument, haute comme une girafe ; aussi notre homme me regardait-il de son haut, gesticulant avec animation, les pieds hors de l’étrier, les bras levés vers le ciel, renforçant chacun de ses arguments par la plus expressive pantomime. Comme je ne répondais rien, il continua :

« Sais-tu, Sidi, ce qui arrive aux giaours après leur mort ?

— Dis-moi cela, Halef !

— Après la mort, tous les hommes, tant musulmans que chrétiens, juifs ou autres, vont dans le Barzakh.

— C’est l’état de l’âme entre la mort et la résurrection ?

— Oui, Sidi ; ensuite tous les morts seront réveillés par la trompette ; alors viendra le dernier jour, la fin de toutes choses. Tout s’anéantira, excepté el Koukrs (le trône de Dieu), el Rouh (l’Esprit), el Laühel mahfous (la table de Dieu), enfin el Kalam (la plume qui a écrit la destinée de tous les êtres).

— Et il ne restera plus rien ?

— Non.