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UNE AVENTURE EN TUNISIE

— Je sais, Sidi Halef, que trois cavaliers ont passé en ce lieu il y a quatre heures environ.

— À quoi cela t’avance-t-il ? Vous autres, hommes d’Europe, vous êtes de singulières gens ! »

Halef me regardait avec commisération ; je me remis en selle, nous poursuivîmes silencieusement notre route.

Au bout d’une heure, le ruisseau parut se détourner brusquement ; nous étions au milieu des sables amoncelés. Trois vautours, enfoncés dans un trou, firent entendre un cri rauque à notre approche, puis s’envolèrent d’un vol pesant. Nous arrêtâmes nos chevaux.

« El boudj (le vautour) !… Un cadavre doit être proche, soupira Halef.

— Quelques bêtes mortes de fatigue sans doute, » repris-je en m’efforçant de suivre mon guide, qui tout à coup faisait partir sa triste monture au trot. Arrivé au bord de la dune, Halef poussa un cri d’horreur.

« Bonté divine ! Que vois-je ! On dirait le corps d’un homme. — Viens, Sidi, viens ! »

Je m’approchai à mon tour ; c’était bien un cadavre humain, que les oiseaux de proie dépeçaient. Je me précipitai à bas de mon cheval et m’agenouillai près de ces tristes restes. Les vêtements du mort avaient été déchirés par les ongles des vautours, mais l’œuvre de ces oiseaux féroces ne devait pas être commencée depuis longtemps. Je tâtai les chairs et les trouvai encore molles,

« Allah kerim ! Dieu miséricordieux ! exclamait Halef, cet homme n’est pas mort de sa mort naturelle ; vois, Sidi.

— Non, voici une large blessure à la gorge et une entaille au-dessous de la nuque ; il a été assassiné.

— Qu’Allah maudisse l’homme qui a fait cela ! Mais peut-être est-ce un combat légitime ?

— Qu’appelles-tu un combat légitime ? Une vengeance, comme il y en a tant parmi vous ? Il faut fouiller ses vêtements. »

Nos recherches restaient infructueuses, quand, en jetant les yeux sur la main de la victime, je remarquai son anneau de mariage. Je retirai l’anneau, l’ouvris et lus, gravé en creux : « E. P. 15 juillet 1850. »

Les Pirates de la mer Rouge.
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