geance. « Le sang paye le sang, » dit l’Arabe. J’aurais bien voulu voir mon prisonnier prendre la fuite sans ma permission, mais, d’un autre côté, ne devais-je pas réclamer l’arrestation d’un homme si dangereux et dont j’avais tout à craindre ?
Fort perplexe, je me fiai à la surveillance d’Omar et me rapprochai d’Halef, qui gardait toujours l’entrée. Celui-ci me demanda :
« Tu as dit que cet homme est Arménien, est-ce vrai ?
— Très vrai ; un chrétien qui joue le mahométisme lorsque cela lui est utile.
— Donc, tu le tiens pour un méchant homme ?
— Pour un parfait scélérat.
— Sidi, tu le vois, les chrétiens sont méchants et corrompus… Oh ! laisse-moi le…
— Halef ! prends garde, ou je parle au vékil d’un certain pèlerin… »
En ce moment le vékil me faisait appeler ; je rentrai dans la salle avec Halef.
Notre fonctionnaire avait la mine assez maussade.
« Assieds-toi ! » dit-il.
J’obéis, pendant que Halef s’emparait sans façon de la pipe destinée à l’hôte du vékil et se mettait tranquillement à fumer, en se croisant les jambes.
« Pourquoi as-tu voulu voir le visage de ma femme ? continua le Turc.
— Parce que je suis un Franc, habitué à regarder ceux qui me parlent.
— Vos mœurs sont mauvaises. Nos femmes se voilent, les vôtres se montrent. Avez-vous jamais vu une seule de nos femmes dans votre pays ? Les vôtres viennent jusqu’au désert, et pourquoi ?… honte !
— Vékil ! interrompis-je, est-ce là ce qu’ordonne la loi du Prophète ? Depuis quand â-t-on coutume de recevoir son hôte avec des insultes ? Je ne me soucie ni du mouton, ni du couscous que tu m’offres. Je retourne dans la cour ; suis-moi !
— Pardonne, Effendi. Je disais ma pensée sans vouloir t’offenser.
— Il n’est pas bon de dire tout ce qu’on pense. Le bavard ressemble à un vase fêlé, dont personne ne se sert parce qu’il ne peut rien retenir.