Page:Mechnikoff - La civilisation et les grands fleuves historiques.djvu/217

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crues, la famine et la contagion. Le milieu spécifique constitué par ces fleuves ne saurait être exploité que par le concours, sévèrement discipliné, d’équipes de travailleurs recrutés parmi les populations généralement hétérogènes d’aval et d’amont, et différant de langue, de race, de mœurs et d’aspect. Les canaux du Kiang-nan et les digues du Hoang-ho représentent probablement le travail collectif, savamment coordonné, de plus nombreuses générations que les pyramides et les temples de l’Égypte. La moindre négligence dans le creusement d’un fossé, dans l’entretien d’une levée, la simple paresse, l’égoïsme d’un homme ou d’un groupe d’hommes dans l’aménagement de la commune richesse liquide, devient, dans ces milieux exceptionnels, la source d’une calamité publique, d’un irréparable désastre général. Ainsi, sous peine de mort, le fleuve nourricier impose une solidarité, intime et de toutes les heures, à des multitudes qui s’ignorent ou se haïssent ; il condamne chacun à des labeurs dont l’utilité commune ne se manifeste que plus tard et dont, le plus souvent, du moins au début, ni la généralité, ni même la moyenne des individus ne peuvent concevoir le plan d’exécution. Voilà la véritable source de l’admiration craintive et respectueuse des peuples pour le Fleuve, pour ce dieu qui nourrit et ordonne, qui tue et qui vivifie, qui daigne dévoiler ses mystères à quelques élus, mais dont un simple mortel entend, sans les comprendre, les commandements inéluctables. Le Nil, par exemple, ne créait pas seu-