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LA CIVILISATION ET LE GRANDS FLEUVES

barrière infranchissable à l’arbitraire, l’humanité doit fatalement tendre à répartir d’une façon de moins en moins inique les privilèges et les charges, les douceurs et les amertumes de l’existence. Or, les lois de Manou fermaient à l’Inde cette route du progrès. Nous avons vu l’Égypte perfectionner son état social par la décomposition du despotisme absolu que lui imposait au début le décret inéluctable du Fleuve, c’est-à-dire le milieu topique. Ainsi semble avoir également procédé la Chaldée, sous l’égide des rois astrologues d’Our et de Babylone. De même, si postérieurement à la constitution des castes, elle eût conservé encore quelque aptitude à vivre pour l’histoire, l’Inde se serait nécessairement lancée dans la négation de la constitution brahmanique. Mais tout le code de Manou est pénétré comme d’un sentiment intérieur de renonciation, d’impuissance à continuer la mission glorieuse que les peuples du bassin indo-gangétique avaient remplie dans les temps antérieurs au brahmanisme. La note dominante est l’immutabilité, la mort : la « règle de la justice humaine », interprétée par les brahmanes, ne se contente pas de défendre un changement quelconque au régime des quatre castes ; elle prétend aussi, en dépit des Védas, reconnus cependant comme la source unique et divine de l’autorité, que ce régime existe de toute éternité ; qu’il est le signe distinctif du genre humain ; les peuples qui ne s’y conforment pas sont des mletcha, barbares d’essence inférieure à l’homme, ou des