Page:Mechnikoff - La civilisation et les grands fleuves historiques.djvu/58

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comment se rendre compte de l’oppression des forts par le faible, des masses innombrables par une minorité infime, bien souvent un seul être abruti et chétif ? Ce spectacle qui se retrouve invariablement au début des annales de toutes les nations, et qui est sans exemple dans la nature, l’homme seul excepté, semble un paradoxe éternel et comme la moquerie d’une divinité railleuse et méchante. Depuis que l’humanité sait chanter et écrire, elle n’a cessé de maudire le despotisme, mais pas un prophète, pas un barde n’a su en expliquer la genèse. Quand J.-J. Rousseau s’écrie : « L’homme a été créé pour être libre, et pourtant nous le voyons partout dans les chaînes ! » quand, du haut de sa grandeur olympienne, Gœthe laisse tomber ces paroles : Der Mensch ist nicht geboren frei zu sein ! (l’homme n’est pas né pour être libre !), le rhéteur et le poète restent également en dehors de l’esprit scientifique et de la réalité. Étant donné le milieu ambiant et son aptitude à s’y adapter, l’homme est fait pour s’y développer de son mieux ; et, d’un autre côté, la liberté n’est point une chimère, puisqu’un grand nombre de peuplades médiocrement dotées par la nature sont parvenues à la réaliser, parfois à un degré que les nations historiques, anciennes et modernes, auraient raison de leur envier.

L’unique théorie des origines du despotisme qui présente quelque apparence scientifique, est, à ma connaissance, celle de Herbert Spencer. Il attribue les différentes destinées des nations, par rapport à