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ment dite, c’est-à-dire avec les thèmes en *-o- et en *-ā-. Quant aux thèmes du type athématique qui sont terminés par d’autres sonantes, c’est-à-dire par n, r et l (il n’y a pas de thèmes terminés par m), l’arménien les fléchit d’une manière spéciale qui appelle une étude détaillée. Les thèmes indo-européens terminés par une occlusive n’ont au contraire fourni aucun type régulier à l’arménien, non plus qu’à la plupart des autres langues : ce type proprement consonantique, encore abondant en sanskrit et en grec ancien, disparaît avec le temps dans chaque langue : les prâkrits et le grec moderne l’ont éliminé.

Dans les quatre types vocaliques, la voyelle qui caractérise chaque série appartenait originairement au thème, mais, au point de vue arménien, il n’y a plus qu’une finale où l’on ne saurait distinguer une voyelle du thème et une désinence ; ainsi la finale du génitif de k‘un քուն « sommeil » est -oy –ոյ dans k‘noy քնոյ, la finale d’instrumental est -ov –ով dans k‘nov քնով ; mais on ne sent pas de thème *k‘(u)no-. Ceci encore n’est pas proprement arménien : un Athénien ne percevait pas un thème ὕπνο- (hupno-) dans ὕπνος, ὕπνου, ὕπνοῳ (hupnos, hupnou, hupnoô), etc. ; la finale οις (ois) des datifs pluriels tels que ὕπνοις (hupnois) a même passé dans certains parlers du nord-ouest, surtout au IIIe siècle av. J.-C., à tous les noms masculins et neutres, ainsi ἀνδροις, σωματοις (androis, sômatois). Les voyelles du type vocalique se sont ainsi adjointes aux désinences dans les diverses langues ; la désinence du datif-ablatif pluriel n’est plus en latin -bus, mais -bus : ped-ibus ; de même la désinence du datif pluriel est en slave -ĭ-mŭ et non plus -mŭ, dans les mots comme slovesĭmŭ, etc.

En ce sens, l’arménien s’est développé comme les autres langues indo-européennes ; seulement les choses sont rendues nettes par la constance avec laquelle tombe la voyelle de la syllabe finale : c’est cette chute qui a donné aux formes casuelles arméniennes leur aspect. On s’attendrait à ce qu’une réduction du nombre des cas aurait pu en résulter ; mais malgré la mutilation des finales, l’arménien n’a perdu qu’un seul des huit cas indo-européens, le vocatif. Tous les autres sont bien conservés, grâce à des innovations dont plusieurs sont encore inexpliquées. C’est l’un des traits remarquables de l’histoire de l’arménien ; seules de toutes les langues