Page:Meillet - La Situation linguistique en Russie et en Autriche-Hongrie, paru dans Scientia, 1918.djvu/2

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échoué ; le nouveau gouvernement russe reconnaît l’indépendance de la Pologne ; il n’y a plus de masse de langue polonaise en Russie.

À une autre extrémité de l’empire russe, au Caucase, la situation est plus compliquée ; le principe posé par le nouveau gouvernement russe permettra sans doute, après étude, de trouver des solutions appropriées, qu’il n’est pas aisé d’apercevoir maintenant ; il n’est pas possible de résoudre les problèmes par une décision simple, comme pour la Finlande et la Pologne. On parle en effet au Caucase des langues diverses, et dont aucune n’est dominante. Outre les parlers proprement caucasiques et l’ossète, d’origine iranienne, parlers employés chacun par quelques milliers de montagnards isolés et dont aucun n’a sans doute un avenir, dont aucun, en tout cas, n’a maintenant de valeur propre au point de vue de la civilisation et n’est l’organe d’une nationalité constituée, on trouve dans la région du Caucase trois langues qui s’écrivent et qui servent à des nationalités ayant conscience d’elles-mêmes : le géorgien, langue caucasique qui se groupe avec trois autres langues parlées sur le versant sud du Caucase, le mingrélien, le souane et le laze, et qui a une littérature importante depuis le xe siècle — l’arménien, qui constitue, parmi les langues du groupe indo-européen, un rameau tout à fait autonome et qui a une grande littérature depuis le ve siècle environ — le turco-tatare, qui est la langue de la plupart des musulmans du Caucase. Aucun des trois groupes n’occupe une aire continue : la grande ville de Tiflis est en territoire géorgien, mais une grande partie de la population y est de langue arménienne ; et surtout les populations turque et arménienne sont emmêlées l’une à l’autre dans les mêmes régions ; dans les villes comme Erivan ou Choucha, une partie de la population parle turc et une autre arménien ; à la campagne, des villages turcs sont juxtaposés à des villages arméniens ; et les deux populations, différentes par les mœurs et par la religion aussi bien que par la langue, se côtoient sans se mêler jamais. Au moins dans les villes, le russe, qui est la langue de l’administration, est aussi la langue des affaires importantes, et les personnes cultivées du Caucase l’emploient dans les relations entre gens de langues différentes. La simple élimination du russe causerait actuellement un grand trouble dans la vie des populations du Caucase.

On laissera de côté ici la Sibérie et la Transcaspie, pays