Page:Meillet - La Situation linguistique en Russie et en Autriche-Hongrie, paru dans Scientia, 1918.djvu/4

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toutes les idées philosophiques, toutes les notions scientifiques. C’est une grande langue de civilisation, moins connue que le français, l’italien, l’allemand ou l’anglais, mais qui peut rendre les mêmes services.

Le groupe russe se compose de trois dialectes : à l’est, le grand russe, auquel appartient la langue officielle de l’Empire ; le petit russe, au sud-ouest ; le blanc russe, au nord-ouest.

Le groupe grand russe, à lui seul, comprend presque les deux tiers du nombre total des individus de langue russe ; il est le seul qui possède vraiment une langue de civilisation. Le groupe blanc-russe est le moins important, de beaucoup, par le nombre des sujets qui le parlent.

Le domaine linguistique grand russe est d’une extraordinaire unité : les individus parlant grand russe s’entendent sans difficulté, de l’extrême nord à l’extrême sud, de l’extrême est à l’extrême ouest. On observe bien moins de différence entre des parlers grands-russes, distants de mille kilomètres, qu’entre des parlers français, italiens ou allemands, distants de cinquante. Il n’y a vraiment qu’un parler grand russe.

Les parlers blancs-russes offrent des particularités qui les distinguent du grand russe comme l’altération de t et d devant les voyelles telles que e ou i. Mais le blanc russe est nettement un dialecte russe, et il faut peu d’efforts à un Blanc Russe pour acquérir le grand russe. Le blanc russe n’est du reste pas une langue de civilisation et n’a pas de littérature.

Le petit russe ou ukrainien qui ne se parle pas seulement dans l’empire russe, mais aussi en Galicie, est plus différent. Toutefois les éléments semblables sont nombreux en petit russe et en grand russe ; quand on compare le nom de la « barbe », avec sa déclinaison, en grand russe borodà, borody, bórodu, et en petit russe borodá, borodi, bórodu, on est frappé de la quasi identité. Et les différences, là où il en existe, sont de celles dont les sujets parlants peuvent se rendre compte aisément et qui n’empêchent pas de passer sans difficulté d’une langue à l’autre. Dans un groupe comme le groupe slave dont les éléments composants sont demeurés très semblables entre eux, le grand russe et le petit russe passent pour des langues distinctes ; mais ils diffèrent moins que le serbe ne diffère du bulgare, que le tchèque ne diffère du polonais, et beaucoup moins que le provençal et le gascon ne diffèrent du français, le milanais du sicilien, et le bas alle-