Page:Meillet - La Situation linguistique en Russie et en Autriche-Hongrie, paru dans Scientia, 1918.djvu/5

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mand du haut allemand. On a tenté de donner au petit russe une langue littéraire propre et d’en faire un organe de civilisation ; mais il y a eu jusqu’ici des essais plutôt que des résultats importants.

En somme, si l’on élimine les provinces des confins qui ont été conquises par la Russie, mais qui n’y sont pas proprement entrées, il n’y a nulle part un domaine plus un, linguistiquement, que celui du russe. La langue désigne la Russie pour former un État un, plus même que l’Allemagne, la France ou l’Italie.


II.


Tout autre est la situation de l’Autriche-Hongrie. Des deux États, dont l’union constitue l’empire des Habsbourg, l’un, l’Autriche, n’a aucune langue qui lui soit propre, sauf le tchèque ; l’autre, la Hongrie, a une langue officielle, le magyar, qui est l’idiome du groupe le plus nombreux et le plus influent du royaume, mais qui est la langue maternelle de moins de la moitié de la population.

En Hongrie, se parlent, à côté du magyar, le serbo-croate, au sud, — le slovaque, au nord, — le roumain à l’est, sans compter de très nombreux colons allemands répandus en diverses parties du pays. Le magyar appartient au groupe des langues finno-ougriennes ; il est sans aucun rapport linguistique, soit avec les langues slaves, comme le slovaque et le serbo-croate, soit avec une langue romane, comme le roumain. Par son type, il est éloigné des autres langues de l’Europe qui appartiennent presque toutes au groupe indo-européen. Il ne ressemble même pas au finnois, qui appartient à un tout autre groupe du finno-ougrien. La minorité magyare, pour qui le magyar est une langue maternelle, peut se trouver relativement bien, à l’intérieur du royaume, d’avoir le magyar pour langue officielle. Tout le reste de la population souffre d’avoir pour langue de civilisation un idiome qui l’isole des groupes naturels auxquels se rattachent les autres nations du royaume, Slovaques, Croates et Roumains, et en même temps, du reste de l’Europe, et surtout de la plus importante des langues slaves, le russe. Or, les Slovaques se rattachent au groupe tchèque, les Croates ont la même langue littéraire que les Serbes, et les Roumains de Hongrie ont la même langue que les Roumains du royaume. L’effort fait pour magyariser Slovaques, Croates