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les innovations spécifiques.

indo-européen, il y a eu des innovations de détail nombreuses qui ont dérangé souvent le parallélisme — ainsi l’arménien et le celtique ont perdu l’ancien p initial. — Ce grand changement du type articulatoire a des chances de s’être produit brusquement, lorsque l’indo-européen s’est étendu à des populations nouvelles.

Mais il y a d’autres changements spécifiques qui se produisent après le changement de langue, souvent longtemps après, et qui n’ont lieu que peu à peu, sans doute en vertu de tendances héréditaires acquises. Ainsi, dans les langues germaniques, la prononciation de la voyelle de la syllabe suivante se prépare au moment où s’émet une voyelle ; ceci a eu de grandes conséquences. Chacune des voyelles indo-européennes était ou nettement prépalatale ou nettement postpalatale ; au contraire, le germanique, tendant à préparer un i ou un y quand il prononce un a ou un o par exemple, a créé des voyelles mixtes, du type de eu et ü du français. Ces voyelles diffèrent beaucoup d’une langue germanique à l’autre, d’un parler germanique à un autre. Il en est résulté des complications extrêmes, notamment en vieil anglais et dans les parlers nordiques. Ces innovations se sont achevées, pour une large part, peu avant la période historique de ces langues ou encore pendant la période historique. Mais elles étaient amorcées depuis longtemps. Ici encore, il y a une innovation spécifique du germanique, et cette innovation atteint l’ensemble du système vocalique qu’elle transforme radicalement.

Des innovations appartenant à une même tendance peuvent aboutir à des dates assez différentes. Ainsi les formes consonantiques correspondant aux voyelles i et u, à savoir y et w, se sont éliminées en grec. Mais, alors