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précisions nécessaires.

Il faudrait savoir, en cas de bilinguisme, comment chaque langue agit sur l’autre et quelles réactions résultent de là.

L’Amérique fournit des exemples remarquables, qu’il faudrait étudier en détail, et que les linguistes ont à peine effleurés.

L’Amérique du Nord a été colonisée par des colons en majorité anglais aux xviie et xviiie siècles. Le pays actuel des États-Unis n’a cessé qu’à la fin du xviiie siècle d’être une colonie anglaise, et le Canada est, aujourd’hui, un Dominion de l’Empire britannique ; des Anglais ont émigré chaque année pour les États-Unis au cours du xixe et xxe siècles. La langue littéraire n’a jamais cessé d’être la même des deux côtés de l’Atlantique ; les normes de la grammaire sont les mêmes ; l’école donne le même enseignement grammatical ; il y a même, surtout dans l’Est des États-Unis, un purisme anglais chez les gens les plus cultivés. — D’autre part, l’influence des indigènes n’existe pas. Les uns ont été éliminés, les autres ont été parqués dans des régions particulières ; il n’y a pas eu mélange des blancs avec les anciens habitants du pays. — Et pourtant, cent cinquante ans seulement après la déclaration de l’indépendance, l’anglais parlé en Amérique diffère notablement de celui qui s’emploie en Angleterre. Un critique littéraire distingué, M. Mencken, va jusqu’à parler — un peu tendancieusement — de deux langues distinctes.

La divergence s’explique.

Tout d’abord, l’anglais est moins résistant au changement que le français. La grammaire est moins rigide ; l’anglais est surtout caractérisé par des expressions idiomatiques qui sont plus sujettes à se modifier que ne le