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les faits dialectaux

conquise, Rome distinguait encore ĭ et ē, ŭ et ō ; le gallo-roman (ainsi que la plupart des parlers romans) aurait un représentant unique de ĭ et de ē, de ŭ et de ō, parce que, à la date où a eu lieu la conquête et où le latin s’est établi, la tendance à confondre ĭ et ē, ŭ et ō existait déjà. Mais, en somme, l’original des langues romanes est une langue une.

Il en va autrement de l’indo-européen commun. Plusieurs des différences qu’on observe entre les langues indo-européennes se trouvent à la fois dans des langues voisines des unes des autres, de telle sorte qu’on est conduit à poser que le point de départ de ces différences se trouve dans des différences existant déjà en indo-européen.

Soit par exemple le nom de nombre « dix » en grec, déka, et en latin, decem, d’une part — en sanskrit, dáça, et en arménien, tasn, de l’autre. Les formes germaniques et celtiques reposent sur des formes comportant un k médian ; les formes iraniennes, slaves et baltiques, sur des formes comportant une sorte de sifflante intérieure. À ce point de vue, il y a donc deux groupes de parlers indo-européens. Or, les mêmes parlers ont pour l’interrogatif-indéfini, dans les groupes grec, latin, celtique, germanique, un qu ou les représentants d’un qu, soit latin quis, et, dans les groupes indo-iranien, slave et baltique, arménien, un k ou le représentant d’un k, ainsi en sanskrit káḥ « qui », en lituanien kas, etc. Ceci tendrait à faire supposer qu’il y aurait eu, en indo-européen, deux groupes dialectaux, l’un représenté par le grec, l’italo-celtique et le germanique, l’autre par le slave, le baltique, l’arménien et l’indo-iranien. Au point de vue des consonnes dites gutturales, cette répartition serait exacte, et l’on parle souvent, pour l’indo-européen, d’un