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LES LANGUES ET LES NATIONALITÉS


« Nous combattons pour l’humanisme contre le patriotisme », m’écrivait de son poste de commandement dans une tranchée, un jour de ce rude hiver, un linguiste éminent qui commande une compagnie de territoriaux bretons sur le front.

Il est un peu vain de chercher qui est responsable de la guerre actuelle : elle résulte de la politique poursuivie depuis des siècles par les peuples de l’Europe, et chacun trouvera toujours un biais pour en rejeter la responsabilité, proche ou lointaine, sur l’ennemi. Mais c’est un fait qu’elle a été déclarée par l’Autriche à la Serbie, par l’Allemagne à la Russie et à la France, et, au moyen de l’invasion de la Belgique, imposée à l’Angleterre, dont le gouvernement très pacifiste se tenait éloigné du conflit. Et c’est un fait qu’elle est poursuivie par le bloc allemand, de l’empire d’Allemagne et d’Autriche, contre des nations très diverses : Serbie, Russie, France, Belgique, Angleterre.

Les seuls alliés des Allemands sont deux groupes qui vivent en opprimant d’autres nationalités : les Magyars qui ont réussi à se rendre seuls maîtres d’un pays où ils sont en minorité en face des Serbo-Croates, des Roumains, des Ruthènes et des Slovaques, et les Turcs qui par la force dominent des Arabes, des Grecs, des Arméniens, des Slaves (maintenant peu nombreux), des chrétiens de Syrie, des Juifs, et dont l’administration désordonnée tient en respect ses sujets par des massacres organisés.

Dans l’Europe moderne où l’Angleterre et la France ont travaillé à faire prévaloir le principe du respect de chaque