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Esthoniens, les Finlandais, les Lapons, qui évitent d’appeler l’ours par son nom et qui le qualifient de « la gloire de la forêt », « le vieux », « la superbe patte de miel », « le poilu », « le pied large », « le mangeur de fourmis blanches », etc. On sait d’ailleurs que, d’une manière générale, l’un des tabous de vocabulaire les plus fréquents porte, durant la saison de chasse, sur le nom de la bête qu’on chasse. Chez les Celtes où le nom de l’ours n’a pas disparu comme on vient de le voir, on retrouve des périphrases analogues le moyen gallois a melfochyn, plur. melfoch « ours », litt. « porc à miel », terme qui se retrouve jusque dans un dictionnaire moderne ; l’irlandais a mathgamain et simplement math, gén. matho « ours », à côté de maith « bon », gaél. écoss. math « bon », comme le montre M.  J. Rhys, Celtae and Galli (Proceed. of the Brit. Academy, II), p. 4.

La glose ϰυνοῦπες (kunoupes) (l. ϰυνουπεύς (kunoupeus) ?)· ἄρϰτος, · Μαϰεδόνες (arktos ; Makedones) Hes. indique aussi qu’on évitait en Macédoine le nom propre de l’ours. M.  O. Hoffmann, Die Makedonen, p. 43, y a reconnu un mot apparenté à gr. ϰνωπ— (knôp–) « animal sauvage ». Les témoignages ne permettent pas de déterminer si cette dénomination a provoqué en Macédoine l’élimination du vieux terme indo-européen, ou si les deux coexistaient comme en celtique.

On est donc conduit à supposer que c’est un tabou qui a entraîné la disparition du nom indo-européen de l’ours en slave, en baltique et en germanique ; M.  Schrader a déjà émis, sous une forme un peu vague,