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même racine, les noms de l’œil diffèrent d’une langue indo-européenne à l’autre.

Il est curieux que le duel zend aši, qui répond exactement à skr. akṣí, ait été attribué au vocabulaire ahrimanien, sans doute dès les gâthâs (Yasna, XXXII, 10) ; pour les êtres bons, on lit dans l’Avesta čašma, qui s’est conservé jusqu’à l’époque actuelle (pers. čašm), ou doiθrəm, formation nouvelle et peut-être artificielle, qu’ignorent les dialectes modernes. De même le vieux mot zd. uši « les (deux) oreilles » (cf. v. sl. uši) est ahrimanien, ainsi que karəna- = skr. kárṇa- « oreille » le mot employé pour les êtres bons est le terme exclusivement propre à l’iranien zd. gaošo, v. pers. gauša, qui se retrouve encore aujourd’hui dans pers. goš. Par ailleurs, au contraire, c’est le terme indo-iranien qui sert pour les êtres bons, ainsi zd. zaslo « main » = skr. hástaḥ, ou zd. pad- = skr. pad- « pied », et ces mots survivent encore maintenant, ainsi persan dast (v. pers. dasta) et pai ; les termes ahrimaniens sont alors empruntés à un mot ancien, mais accessoire, comme zd. gava- « main » (v. Lidén, Arm. stud., p. 120), ou artificiellement fabriqués pour les besoins d’un passage particulier, comme les ἅπαξ (hapax) zd. dvarəθra- et zbaraθa- « pied » ; le vocabulaire ahrimanien de l’Avesta n’a, comme on le voit, aucune unité ; si on l’étudiait en détail, il faudrait ajouter aux types cités ici celui des cas où le terme propre est employé seulement pour les êtres ahrimaniens, et est remplacé pour les êtres bons par un euphémisme : les