Page:Mendès - La Légende du Parnasse contemporain, 1884.djvu/189

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l’étal, mangea les pains d’épice, en eut mangé pour des sommes énormes, — ayant soin de choisir d’ailleurs les morceaux où il n’y avait pas d’amandes, qui étaient moins bons, mais qui, au même prix, étaient plus gros ! C’est ainsi qu’il ne mourut pas de faim.

Mais si nous étions tristes, nous n’étions pas désespérés. Il y avait en nous une foi capable de résister à toutes les privations comme elle devait résister plus tard à tous les dédains. On mourait de faim ; n’importe ! on travaillait. On avait des bottines éculées et des habits qui se déchiraient ; n’importe, avec ces bottines, sous ces habits, on allait dans les bibliothèques, dans les musées. L’amour du livre, l’admiration des marbres et des toiles nous était une consolation quotidienne. L’estomac vide, tant pis ! on déjeunait d’une page de Ronsard, ou de la contemplation d’un tableau du Titien, et, le soir, brisés, affamés, solitaires, on ne songeait pas à se désoler, car, dans les petites chambres de l’hôtel du Dragon Bleu, nous avions pour compagnons adorés tous les espoirs et tous les rêves. L’unique bougie s’éteignait bien tard dans le logis souvent sans feu. Nous faisions des