Page:Mendès - La Légende du Parnasse contemporain, 1884.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Nature en la rendant complice de leurs sanglots ; ils invoquaient la lune ; les astres étaient de moitié dans leurs pleurnicheries ; ils déshonoraient les petits oiseaux.

Ce n’est pas tout ! Il y avait encore l’école utilitaire, pratique, qui méprisait la vaine harmonie des mots et ne s’attachait qu’au « fonds », la forme étant une question secondaire. Ah certes ! respect aux esprits qui, dans la langue des prophètes, enseignent à l’humanité ses grands devoirs ! mais, pour ceux dont nous parlons, la poésie était d’instruire les masses en développant des vérités usuelles, quotidiennes, banales. Résultat : les poèmes sur la direction des ballons, la télégraphie sous-marine et le percement de nouveaux canaux, avec dédicace menaçante au souverain : « Cesse de vaincre ou je cesse d’écrire ! » et les morceaux de haut goût où il suffit de s’écrier : « L’âme est immortelle » ou « Le chien est l’ami de l’homme » pour être considéré comme un penseur.

Parlerai-je aussi de ceux qui jugeaient bon d’informer leurs contemporains de l’amour qu’ils portaient à leurs mères ? Les poètes bons fils ont été innombrables. Nous en avons encore quelques-uns de cette sorte. Aujourd’hui même, un poète est mal vu dans le monde quand il n’a pas au moins une vieille tante à pleurer.

Mais de tous ces mauvais poètes, les plus exécrables assurément étaient les derniers débraillés restés fidèles aux traditions du cénacle d’Henry Mürger. Ceux-là étaient les apôtres du désordre. Désireux avant tout de passer pour originaux, ils se distinguaient, d’abord par la malpropreté voulue de leurs vêtements, et ensuite par leur